Le sixième extrait du CD Lignum Vitae que l’on peut entendre sur la page Sortie du CD Lignum Vitae nous plonge immédiatement dans l’audace créatrice du Credo de la Messe de Notre-Dame de Machaut. Harmoniser le texte le plus long de l’ordinaire de la messe, nous pouvons nous en douter, n’a jamais été une mince affaire, car sa durée limite en temps les possibilités de développement mélodique que les compositeurs réservent traditionnellement pour le « Amen » final. Mais le chanoine de la cathédrale de Reims ne manque pas d’imagination créatrice, et fut un des premiers à prendre une liberté toute nouvelle dans la découpe du fameux texte liturgique.
Le passage commenté fait entendre les mots « ex Maria Virgine », qui insistent sur l’incarnation, le Christ ayant pris chair de la Vierge Marie par l’Esprit-Saint (de Spiritu Sancto). Dans la tradition du plain-chant, cette partie du texte est continuée par les mots « et homo factus est » (et il s’est fait homme) à la fin desquels une légère césure peut être marquée pour faciliter l’inclinaison ou la génuflexion du clergé et de l’assistance. Très attaché à la dévotion mariale, Guillaume de Machaut choisit délibérément d’imposer un silence dramatique avant les mots « ex Maria Virgine » et d’en allonger subitement les valeurs rythmiques, afin de recentrer toute la dévotion liturgique sur la Vierge Marie. Cette audace, qui pourrait passer inaperçue à nos oreilles modernes, est pourtant un des premiers figuralismes de l’histoire du chant polyphonique, où la créativité et l’expression de l’artiste, en bonne entente avec la fonction institutionnelle de la musique, commence à prendre le pas sur le cadre imposé.
Ici, c’est la vénération à Marie, pour laquelle le chanoine légua après sa mort un certaine somme d’argent pour qu’une messe soit célébrée chaque samedi en son honneur, qui peut justifier une rupture aussi surprenante dans le déroulement du Credo de la Messe de Notre-Dame.
Frédéric Rantières