Le Saint Vinage : un traitement au Moyen Âge contre le mal des ardents

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Dans le cadre du Financement Participatif Helloasso Redécouvrez les Chants disparus de l’Ordre Antonin, Gisèle Bricault, historienne de l’Association Française des Amis des Antonins (AFAA), vous propose de rentrer dans le mystère du Saint Vinage, une macération de plantes mêlée à du vin que l’on utilisait pour guérir du mal des ardents ou Feu Saint-Antoine…

LE TRAITEMENT DE LA MALADIE DU MAL DES ARDENTS OU FEU DE SAINT-ANTOINE PAR LES RELIGIEUX HOSPITALIERS DE L’ORDRE DE SAINT-ANTOINE :  LE SAINT VINAGE

st antoine et le saint vinage

Chapelle Saint-Antoine le Grand à Clans (Alpes Maritimes). Cette fresque illustre Saint Antoine portant aux malades ce qu’on peut considérer comme un flacon de Saint Vinage (photo de Françoise Boué, extraite du Guide de la Chapelle Saint-Antoine le Grand, de Claude Giribone (2015) avec l’autorisation de l’auteur ; cf. article du n°25 de la revue Les Antonins – juillet 2016).

Face à cette terrible maladie que constituait le Mal des ardents ou Feu de Saint-Antoine (on sait depuis qu’il s’agit de l’ergotisme qui infectait les céréales, notamment le seigle), les hospitaliers de Saint-Antoine avaient tout d’abord un but précis : rendre hommage à Dieu en soignant les malades du « feu sacré » et, accessoirement, en soignant d’autres types de maladies ou en accueillant des pèlerins.

À cette époque, la philosophie chrétienne reliait les maladies aux malaises de l’âme et soutenait que l’esprit et le corps allaient de pair, évoluant conjointement (d’ailleurs cette théorie réapparaît dans le monde moderne). Les Antonins admirent donc que la mauvaise santé n’était pas seulement fonction de « composés chimiques » (terme d’ailleurs inconnu à l’époque) mais qu’elle dépendait de l’environnement d’un être, de sa nourriture, de sa réceptivité, de son émotivité, de la lumière, du climat, des vibrations… en un mot du fonctionnement psychique et spirituel de chacun.

Leurs thérapies s’élaborèrent donc à partir d’observations approfondies en s’appuyant sur les quatre éléments fondamentaux de la vie : l’air, la terre, le feu et l’eau, et ils rajoutèrent la Foi, donc les prières. Bien entendu, leur pharmacopée fut, elle aussi, fonction de leurs remarques, de leur bon sens et des produits dont ils disposaient. D’emblée, les Antonins mirent d’abord l’accent sur la diététique en distribuant à leurs malades de la nourriture saine et abondante, en accordant du vin à volonté et en utilisant, sous forme d’onguents, de cataplasmes et de breuvages, les vertus connues des plantes du terroir, des eaux, des minéraux qu’ils avaient sous la main, outre le pouvoir des vibrations engendrées par des formes qu’ils avaient concrétisées dans leur église, sans oublier la récitation des prières, incluant le pouvoir des mots.

Dès que le diagnostic de « feu sacré » était établi le patient était conduit dans l’église où, en compagnie d’un prêtre, il s’imprégnait des lieux et récitait l’antique prière :

« Antoine, vénérable pasteur qui rendez la santé à ceux qui sont en proie à d’horribles souffrances, vous qui savez guérir les maladies mortelles et qui pouvez éteindre le « feu sacré », ô Dieu miséricordieux, priez pour nous.

Et vous Seigneur, qui accordez à la prière du bienheureux Antoine, la guérison du « feu sacré » et le rétablissement de leurs membres malades, nous vous supplions de nous préserver aussi des flammes de l’enfer. Puissions-nous, sains d’esprit et de corps, vous être un jour présentés au ciel ».

Parmi toute une panoplie de médications, il y avait une boisson célèbre connue sous le nom de « Saint Vinage » faite à base d’un vin qui devait exclusivement provenir des vignes plantées sur la colline, derrière le monastère de l’abbatiale Saint-Antoine, vignes que tout religieux de haut rang venant à Saint-Antoine devait bénir.

Les soins de la vigne et les vendanges étaient confiés aux religieux eux-mêmes. Le vin était probablement fait de façon très classique dans un chais inclus dans les vastes bâtiments abbatiaux.

La macération des plantes médicinales qu’on y adjoignait devait se pratiquer entre novembre et le printemps. Toutefois, nous ignorons si leur immersion se faisait en une ou plusieurs fois successives et si le liquide était ou non chauffé. Parmi toutes les plantes bonnes à cet usage, nous signalons le radis noir, le pavot, le fragon, le houblon, le millepertuis, le lierre, l’églantier…

Ces plantes figurent en effet, sur les sculptures qui décorent les colonnes du triforium, au-dessus de l’abside abbatiale. On peut, sans risque de se tromper, assurer que le breuvage, après filtrage, était recueilli dans de grandes cuves en attente de sa bénédiction.

Nous ignorons si, pour le faire, les cuves étaient déposées dans l’église ou si l’on apportait au chœur  un simple récipient plus maniable dont le contenu, une fois sanctifié, pouvait être versé et mêlé à la totalité du vin, qualifié dès lors de Saint Vinage.

La cérémonie se passait en tous cas le jour de l’Ascension après la procession des reliques du Saint et c’était un des temps forts de la journée. Rapportons- nous pour cela au récit d’Aymar Falco, historien de l’Ordre, qui écrit en 1534 : « Les anciens écrits font mention que ce n’est pas une coutume nouvelle que le jour de l’Ascension, on descende le corps de Saint Antoine du haut lieu où il est mis et que, peu après, on fasse la procession car il est certain que cela a été observé depuis le temps où les saintes reliques y furent mises, ceci a encore été observé depuis le commencement jusqu’à présent, que le célèbre jour, soient arrosées de vin, les reliques de ce saint corps, vin lequel étant gardé on donne à boire aux malades et qu’il en est très utile pour guérir leurs maladies. On a prouvé par mille expériences que la vertu de ce vin sanctifié apporte un très efficace remède contre les « incendies du feu sacré ». La même année que nous avons écrit ces choses (1533-1534), plusieurs par l’arrosement de ce vin furent guéris du feu sacré, non pas sans grand témoignage de la divine vertu. Il est évident que des rois, des princes de notre temps ont usé de ce salutaire remède. C’est pourquoi le St Siège Apostolique a approuvé la sanctification de ce vin et a ordonné qu’il ne fut pas permis de faire de tel vin en aucune part si ce n’est dans le monastère où reposent les reliques de Saint Antoine. »

Falco évoque ici l’efficacité de ce breuvage. On peut même se demander s’il ne servait pas aussi pour d’autres maladies que le “feu sacré » ; en effet on ne voit pas quels rois, quels princes, étant atteints de ce mal, l’auraient utilisé. Par contre, on comprend la réflexion si ce vin avait une vertu remontante et euphorisante. Ce vinage était si célèbre qu’il y eut des fabricants de « faux vinage ». Pour faire cesser le scandale, le pape Sixte IV avait fulminé, en 1473, une bulle visant à punir sévèrement les plagiaires et même à les excommunier. Du même coup, il avait interdit la fabrication et la distribution du Saint Vinage ailleurs qu’à Saint-Antoine même. Après la bénédiction le médicament était, dit-on, mis en réserve dans des vases précieux dont nous ignorons tout. L’inventaire des titres n’en signale qu’un seul, en argent, offert en 1560 par le frère antonin Robert Mantelle.

De toutes façons, la bénédiction du Saint Vinage était un acte important en l’abbaye de Saint-Antoine. Nous en restituons, à la page suivante, le rituel et nous ne doutons pas de l’émotion qu’on pourra ressentir à la lecture de ces prières implorantes et oubliées. (1)

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Gisèle Bricault, historienne de l’Association Française des Amis des Antonins (AFAA), article extrait de la revue de Les Antonins de l’AFAA, n° 27, juillet 2017, p. 24-26.

 

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