Le chant grégorien est-il magique ? (1)

By | 6 octobre 2015

Au vu des interrogations de notre temps, on pourrait se demander si le chant grégorien n’aurait pas des propriétés magiques qui lui donneraient un pouvoir sur la conscience humaine. À cette réflexion de fond qui intéresse de près l’anthropologie et de manière plus générale les sciences humaines, il est nécessaire d’associer l’expérience du chant grégorien, en le pratiquant mais aussi en l’écoutant, afin d’éprouver l’effet qu’il pourrait exercer sur nous. D’aucuns diront que l’objectivité nécessaire à cette recherche impliquerait de méconnaître le chant grégorien en sorte de ne pas se laisser gagner par sa propre subjectivité. Mais l’argument se trouve vite renversé par le simple fait que cette question relève de la perception, et qu’il est impossible de prendre de la hauteur sur ce phénomène, en l’occurrence la perception que l’on peut avoir des sons, sans en avoir un tant soit peu fait l’expérience dans sa propre vie.

Laissant de côté l’aspect polémique de cette question, je souhaiterais attirer l’attention de nos lecteurs et auditeurs sur la manière dont les auteurs anciens considéraient le pouvoir de ce chant. Parmi les « grandes idées » qui ont pu circuler au moyen âge sur ce sujet, celle qui revient sans cesse, telle une mélodie sans fin, réside dans les sentiments du chant, les affectus en latin, qui animent l’esprit du chanteur et de ses auditeurs. Bien que méfiant envers les charmes que la mélodie peut exercer sur les sens de l’auditeur, Augustin (354-430) doit reconnaître dans ses Confessions (X, xxxiii) que les paroles, si elles sont chantées avec une voix limpide (liquida vox), douce (suavis) et exercée (artificiosa), et accompagnées d’une modulation harmonieuse (convenientissima modulatio) qui s’accorde au sens du texte, animent avec plus d’ardeur les esprits des auditeurs, chaque émotion ou sentiment (affectus) trouvant mystérieusement sa correspondance dans le mouvement de la mélodie. Chez les grands compilateurs de textes et les théologiens du haut moyen âge (Isidore de Séville, Raban Maur, Amalaire de Metz, etc.), ce passage très important sur les « Tentations de l’ouïe » servira notamment d’autorité.

Selon cette analyse, il n’est plus question d’un pouvoir « magique » que le chant grégorien exercerait de manière surnaturelle et selon des conditions particulières sur l’auditeur, mais bien d’un phénomène à la fois naturel et subtil, où le rapport affectif que l’on a à un texte et le sens artistique avec lequel on transmet ses affects au moyen d’une mélodie s’interpénètrent. L’écoute dans ce cas n’est plus vécue sur le mode de la passivité, mais de l’action, l’émotion étant portée par les deux protagonistes (chanteur et auditeur).

La richesse de cette réflexion nous apporte donc un premier élément de réponse à la question posée. Maintenant, si cette approche vous a intéressé ou fait progresser sur le sujet, je vous invite à réécouter les extraits en ligne de notre nouveau CD Lignum Vitae, notamment les passages de chant grégorien comme le magnifique répons Solem iustitiae, ou des extraits dans notre page Enregistrements, ou encore de toute autre site Internet ou CD, pour prendre le temps de (re)vivre cette expérience.

 Frédéric Rantières

One thought on “Le chant grégorien est-il magique ? (1)

  1. Yves MICHEL

    Oui, je reconnais que de chanter ces chants, et les écouter sur CD, me font un effet assez subtil, que je ne qualifierais pas de magique, mais de bienfaisant; sans doute leurs compositeurs avaient ils une connaissance de l’humain toujours valable pas mal de siècles après… Je me sens comme « réaligné » intérieurement.

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